carnet de route
Dans ce numéro spécial beauté-cosmétique, Muriel Koch, Directrice Générale du Groupe Nuxe, nous fait l’honneur de ces pages et nous ...
Notre expertise
Interview de Cécile Béliot, Directrice Générale du groupe BEL par Henri Kieffer, fondateur harpagon.
Parlez-nous de votre décision de rejoindre BEL ?
Mon arrivée chez BEL fait suite à 17 années passées chez Danone. Antoine Riboud était un visionnaire, qui avait mis au cœur de l’entreprise un double projet économique et social, je vous renvoie à cet égard à son discours de 1972. Cette entreprise m’a permis de grandir sur beaucoup de sujets, avec toujours beaucoup de sens et une éthique extrêmement forte, jusqu’à des postes de direction générale.
J’ai rejoint le groupe BEL 5 ans après ma première rencontre avec Antoine Fievet, Président et représentant de la 5e génération de dirigeants familiaux de BEL, chez qui j’ai senti une sincérité très forte. Il m’a paru en lui porter les valeurs et la bienveillance qu’il souhaitait voir prévaloir au sein de son entreprise, avec un engagement très fort sur les sujets d’impacts sociaux et environnementaux. Le groupe BEL, c’est la capacité à apprendre et mettre en œuvre un capitalisme responsable, avec une vraie incarnation de ces valeurs. La dimension d’entreprise familiale a également été un élément important de ma décision : notre marge de manœuvre est bien plus large, nous avons une plus grande liberté de pilotage sur le long terme. Nous sommes également un groupe plus petit que Danone. Chez BEL, chacun a une capacité d’impact forte, la matrice est peu présente, les enjeux politiques moindres, les prises de décisions et les capacités de transformation rapides. Cette forme d’agilité est un atout pour innover et ouvrir la voie à un nouveau modèle.
Comment animez-vous un groupe de 12 000 salariés, présent dans plus de 120 pays au travers de 30 marques ?
Pour moi, la meilleure façon d’engager nos salariés, c’est de démarrer par la mission.
Celle du groupe BEL est « d’offrir une alimentation plus saine et responsable pour tous ». C’est notre ADN, et l’une de nos spécificités : la dimension « For All For Good ».
Nous avons dans notre portefeuille des marques populaires, au sens vrai du mot, que nous retrouvons dans toutes les catégories sociales. Par exemple, La Vache qui rit est présente dans 1 frigo sur 2 en France. C’est un produit connu de tous, que l’on apprécie partout dans le monde, notamment pour ses qualités nutritives, ses ingrédients, sa simplicité de produit portionné qui peut être conservé à température ambiante dans certains pays.
Quels outils et indicateurs vous accompagnent dans ce pilotage et cette animation ?
Notre modèle repose sur « 2 jambes » : la responsabilité et la rentabilité. En plus des éléments financiers traditionnels, nous avons 5 KPIs :
Ces 5 critères constituent les fondements de notre engagement. C’est la raison pour laquelle notre CFO (Chief Financial Officer), est devenu Chief Global Impact Officer, ce qui signifie qu’il est responsable à la fois de la finance et la RSE. Concrètement nos équipes finance intègrent aujourd’hui la dimension carbone dans leur pilotage et leurs objectifs qu’ils partagent ensuite avec les pays et les usines.
Pour mener notre démarche ambitieuse de réduction carbone, nous avons mis en place un outil qui permet à chaque usine, chaque chef de produit, chaque patron de business unit, de piloter son impact mensuellement. Aujourd’hui, un chef de produit va intégrer dans ses prises de décisions aussi bien son P&L, que son impact carbone. Afin de faciliter l’opérationnalisation de notre approche, nous menons des, revues de performance, nous avons un plan stratégique carbone avec un budget carbone qui est mis en Å“uvre pour permettre un pilotage efficace. Toute cette démarche part de notre mission, et je veille à la faire vivre à l’intérieur de l’entreprise sur chacun des métiers. Avoir des indicateurs permet un suivi opérationnel, et donc de la faire exister dans l’organisation.
Qu’est-ce qu’un positive product ?
Le positive product, c’est un produit que l’on engage dans un processus d’amélioration sur nos indicateurs clés :
– « Positive recipe » : nous évaluons toutes nos recettes sur 2 axes : la nutrition et la naturalité, avec un graal de performances maximales sur ces deux dimensions. Nous nous inscrivons dans une dynamique d’amélioration continue de nos marques cÅ“ur
– le sourcing des matières premières et l’alimentation des animaux sans OGM.
– et nous sommes en train d’y ajouter les dimensions sur les emballages avec des critères très précis, notamment d’éco-design et de recyclabilité, ainsi que la notion d’impact CO2.
Le groupe BEL est aux avant-postes sur les enjeux de la transition alimentaire.
Quel est votre regard, comment se projette le groupe BELÂ ?
Lorsque l’on adresse l’enjeux du climat, il y a un sujet évident qui est celui de la transition énergétique. Mais il y a aussi celui de l’alimentation dont on ne parle pas assez, alors qu’il est fortement lié au climat. L’amont agricole représente 70 % de notre impact carbone. Il s’agit donc de mettre en place des pratiques agricoles durables (bilan et plan de réduction carbone dans les fermes de nos éleveurs partenaires, captation du carbone sur des sols sains qui se régénèrent par exemple), et de porter une attention essentielle au contenu de l’assiette. C’est ce que nous faisons en rééquilibrant notre portefeuille entre produits animaux et végétaux, c’est-à -dire en continuant d’offrir des produits laitiers de bonne qualité nutritionnelle, des fruits, et en développant de façon complémentaire des produits végétaux.
Quel est le rôle de BEL dans cette transition alimentaire ?
Un consensus scientifique s’est dégagé, celui de la commission EAT-Lancet. Ce consensus est clair, le seul chemin vers un régime alimentaire qui permettra aux pays du G20 de baisser significativement l’impact carbone de leur alimentation et d’avoir des populations en meilleure santé est de rééquilibrer la part des produits végétaux dans l’assiette, c’est-à -dire consommer plus de céréales, de légumineuses, de fruits et légumes, de noix, et de diminuer la quantité de produits animaux, car nous en consommons en excès. Notre rôle est donc double : nous devons d’une part proposer à nos consommateurs la possibilité de rééquilibrer leur alimentation entre produits de sources végétale et animale ; et d’autre part, nous assurer que nos éleveurs partenaires pivotent vers une agriculture durable Au-delà de notre rôle, c’est aussi notre responsabilité, dans la société, auprès des consommateurs, de nos concitoyens, dans tous les pays. Le sujet est aussi celui de l’alimentation du plus grand nombre. Actuellement, il y a à la fois 800 millions de personnes dans le monde qui sont en insécurité alimentaire (situation qui va se dégrader avec les conséquences de la guerre en Ukraine), et 800 millions de personnes en situation d’obésité, et globalement une population mondiale qui va atteindre 10 milliards de personnes en 2050.
Nous ne serons capables de nourrir cette population croissante que si nous pensons l’impact de toute notre chaine de valeur, de l’amont à l’aval : sur les matières premières et l’agriculture durable, sur la qualité nutritionnelle de nos produits qui doivent être accessibles au plus grand nombre, et sur la réduction de notre impact environnemental (lutte contre le gaspillage alimentaire, réduction de l’empreinte carbone). Le groupe BEL s’est mobilisé de longue date sur ces enjeux centraux : par exemple, aujourd’hui, nos éleveurs partenaires en France ne nourrissent plus leurs vaches avec du soja importé du Brésil.
On parle aussi beaucoup de la captation du carbone pour lutter contre le dérèglement climatique
Effectivement, de nombreuses initiatives porteuses émergent autour de l’utilisation du carbone. Je sais qu’Unilever a commencé à utiliser le carbone à l’intérieur de la lessive et du packaging, et va au-delà de la neutralité en devenant net positif.
Et je vous citais l’exemple de l’agriculture qui peut contribuer à avoir un impact net positif et sur lequel le groupe BEL est engagé de manière active, au même titre que nous Å“uvrons à transformer la façon dont les consommateurs se nourrissent. En complément de notre démarche de réduction carbone, nous sommes en train de développer ce que nous appelons « la séquestration » au sein de puits de carbone forestiers naturels, et dont les bénéfices vont au-delà des capacités de captation : préservation des ressources hydriques, lutte contre l’érosion…
Pour vous, quel sera notre alimentation dans 10 ans ?
Je nous souhaite l’adoption le plus rapidement possible de ce fameux Health Planetary Diet pour composer nos assiettes : la moitié (en calories) à base de fruits et légumes, 1/4 de céréales et légumineuses, des produits laitiers, des sources de matières grasses végétales de bonne qualité, et une petite quantité d’aliments source de protéines animales, qui doit être produite dans des conditions durables avec un impact carbone optimisé.
En termes de développement durable – quels sont les principaux freins sur lesquels travaille BEL ?
Il y a des freins à plusieurs niveaux. Premier frein, rien n’est jamais parfait dans ce qu’on lance. Il faut l’accepter et être en amélioration continue.
Il y a aussi une tension compliquée à tenir qui est celle de l’accessibilité du sain et durable. C’est un discours que je tiens de plus en plus en France. L’alimentation durable n’est pas une question de prix mais de valeur. Il faut développer un discours de valeur sans confondre les sujets. Par exemple, adresser la grande pauvreté en France (accès à l’alimentation, rôle de l’état providence et des banques alimentaires), tout en s’attelant à l’alimentation saine des classes moyennes : il faut accepter de payer un peu plus pour notre alimentation pour laisser un meilleur avenir à nos enfants. Cela passe aussi par une meilleure rémunération des agriculteurs.
Nous adressons certains marchés difficiles, où le pouvoir d’achat est très faible, avec des dévaluations fréquentes (Afrique du Nord, Moyen Orient). Nous tâchons de tenir un équilibre entre l’accessibilité économique et la valeur nutritionnelle. Cela demande plus d’intelligence, de créativité, de R&D.
Il est certain que la mise en œuvre de la transformation, notamment en matière de RSE, est plus complexe qu’auparavant.
L’autre grand enjeu est humain.
Deux illustrations : comme je vous l’ai dit plus tôt, nos financiers ne sont plus seulement des financiers car ils traitent maintenant du carbone, et de la RSE de façon plus générale. Ce changement s’est opéré il y a deux ans, auparavant nous ne pilotions pas ce sujet avec cette intensité et cette précision, bien sûr encore perfectibles. Nous sommes engagés dans un processus d’apprentissage et de développement de ces expertises. Il y a quelques années, nous avons demandé à nos acheteurs de ne plus faire du prix du lait le cœur de leur activité, et de s’assoir autour de la table pour parler avec nos éleveurs partenaires de la transition agricole. Ce fût un grand changement de paradigme au sein des équipes achats, cela a demandé une transformation profonde de posture et de leadership.
Chez harpagon, nous observons l’émergence d’un nouvel enjeu autour de l’ambiguïté dans la plupart des sujets sur lesquels nos clients s’interrogent. Comment l’appréhendez-vous ?
Il faut être à l’aise avec la décision de faire des compromis, réussir à tenir à la fois notre approche responsable et la performance financière. Evidemment, rien n’est parfait. Est-ce que nutritionnellement il y a une marge de progrès sur nos alternatives végétales ? Oui, elles ne sont pas encore au niveau de nos recettes de fromage, et nous travaillons ardemment à leur optimisation. Sur ce critère, le produit est imparfait, contrairement à son empreinte carbone qui est exemplaire et qui répond à un besoin, une urgence. Nous faisons aujourd’hui d’énormes efforts de recherche et développement afin que les alternatives végétales répondent de la meilleure façon aux critères nutritionnel et environnemental. La question de l’ambiguïté est un vrai sujet de leadership qui se pose également avec l’arrivée massive de la data. Il faut apprendre à traiter ces nouveaux flux, à s’assurer que les équipes sachent déconnecter, leur apprendre à maitriser leurs outils, mais également à gérer leur rythme pro/perso, pour qu’ils naviguent dans ses univers sans devenir esclaves de l’accès à cette masse d’information.
Pour vous, quelles sont les qualités d’un bon consultant ?
Pour moi deux qualités se dégagent :
D’une part, comprendre l’ADN de l’entreprise, et ses ways of working. Un bon consultant s’adapte à son client, il n’est pas là pour dérouler la même méthodologie et les mêmes présentations que chez ses autres clients. D’autre part, un bon consultant nous fournit son regard externe et nous donne une vision d’ensemble du marché et de la concurrence, afin de nous donner de l’avance. Quand nous faisons appel à des consultants, c’est pour qu’ils prennent en compte nos spécificités et nos différences, et nous aident à nous dépasser. Nous n’avons pas forcément la bande passante ou, pour le moment, la data de certaines grandes entreprises. La force d’un bon consultant c’est de pouvoir s’adapter à cette situation, être itératif et prototyper petit pour pouvoir tester rapidement sans calquer des réponses toutes faites.
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Interview menée par Henri Kieffer, avril 2022
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